— La Croix-Valmer, Var, Côte d’Azur
On voulait se lever tôt pour aller explorer le massif de l’Esterel. Mais Carine ne se lève plus à 6h, et moi je suis toujours réfractaire à me lever tôt en vacances. Enfin, je me suis quand même fait violence ce matin : j’étais debout à 8h. Et le départ eut lieu 1h30 plus tard. Record battu.
L’été n’est vraiment pas la bonne saison pour visiter la Côte d’Azur. Les routes du littoral font penser au périphérique à l’heure de pointe — et ici, c’est tout le temps l’heure de pointe. Les touristes (oui je sais, j’en fais partie) vont à la plage, au casino, au Casino — notez la nuance : il y a casino et Casino ; dans les deux on vous fait miroiter des prix mirobolants, et dans les deux on se fait plumer — bref, les touristes vont Dieu sait où, mais en tout cas ils y vont en voiture. C’est là que Carine et moi (et sans doute une poignée de rares autres) nous nous distinguons : les courses sont faites au village en vélo, et la plage, c’est 10 minutes de marche jusqu’au centre du village, 15 de navette (gratuite, pratique ça) et 25 de marche à nouveau pour retrouver notre plage préférée, la crique des Bruys. Toujours peu fréquentée — vous en connaissez beaucoup, vous, des gens qui marchent une demi-heure pour aller à la plage ? — le sable y est peut-être moins fin, mais c’est double avantage : il est moins brûlant sous le pied nu, et ne s’envole pas dans vos yeux posés à ras de serviette au moindre coup de vent. Quant à l’eau, elle y est d’une limpidité exquise, à peine troublée toutefois, quand le vent est de mer, par quelques chapeaux gélatineux de méduses.
Cette plage, nous en avons bien profité les jours précédents — un peu trop sans doute, à voir l’inquiétante coloration écarlate de mon épiderme — et nous voulions découvrir un peu l’arrière-pays varois, et notamment le réputé massif de l’Esterel. Le problème est que, pour accéder à l’arrière-pays, il faut nécessairement passer par la route côtière. Et là, vous avez un aperçu de l’enfer : des kilomètres de roue contre roue, en contemplant la sublime diversité des plaques minéralogiques. Et à voir le nombre ahurissant de gros 4x4 tous chromes dehors, de décapotables rutilantes et de Porsche Cayenne coincés là-dedans, je me dis que certains vont dans les bouchons juste pour qu’on les y admire.
Enfin arrivés à Fréjus par des routes de traverse (21 km par la côte, le double par l’intérieur, mais c’est deux fois plus rapide), nous nous sommes arrêtés à la curieuse Mosquée des tirailleurs sénégalais, une réplique miniature de la Grande Mosquée de Djenné au Mali. À l’entrée, dans son container climatisé, une fille se morfondait d’ennui. Nous avons fait notre B.A. ; nous lui avons acheté deux entrées, en comprenant immédiatement après la raison de sa mélancolie : nos billets portaient les numéros 00002 et 00003 ! Et en effet, personne ne se pressait dans cet édifice pourtant exotique, construit par les troupes coloniales en 1917 pour lutter contre le mal du pays — il y a même de fausses termitières. Il faut dire que le site ne semble pas avoir fait l’objet de beaucoup d’attentions : pas de pancartes le signalant, l’entrée du parking barrée par une chaîne avec un menaçant “Terrain militaire. Défense d’entrer", une grille rouillée fermée par une épaisse serrure, un panneau branlant constituant en tout et pour tout le seul explicatif du site, et même des tessons de bouteille constellant la galerie du premier étage. Le ménage n’a pas été fait depuis longtemps. Quoi qu’il en soit, le lieu est suffisamment intriguant pour mériter une visite, et surtout le fait de tripler par notre venue le nombre historique de visiteurs est un plaisir trop rare !
Un peu plus loin, le Musée des Troupes de Marine, hélas fermé le mardi, accueillit notre pique-nique à défaut de nos personnes. Après quelques errements qui nous valurent de découvrir le village perché de Bagnols-en-Forêt, nous atteignîmes notre objectif : les vestiges du barrage de Malpasset.
Dans la nuit du 2 décembre 1959, à 21h13, le barrage-voûte cède sous le poids des eaux gonflées par des pluies diluviennes. Une vague de 40 m de haut, charriant des blocs de plusieurs centaines de tonnes, déferle alors sur la ville de Fréjus et ravage tout sur son passage. 400 morts et disparus. Le concepteur du barrage, accablé de chagrin, ne lui survivra pas plus de quelques mois.
Les ruines sont impressionnantes : des moignons de barrage surgissent encore de la rive droite, tandis que la voûte a été complètement crevée sur la gauche. D’énormes blocs de béton bardés de ferraille tordue parsèment le vallon sur plusieurs centaines de mètres en aval. Après une marche d’une heure et demi dans une chaleur suffocante — c’est le deuxième inconvénient de la Côte d’Azur en été : le soleil tape trop dur sur les téméraires randonneurs — imaginer toute cette eau fraîche bouillonnante alors que nous sommes écrasés par un cagnard de plomb, voilà une vraie torture. Aujourd’hui, entre les arbres déracinés et les dalles arrachées, l’herbe a repoussé et — si l’on fait abstraction de l’autoroute voisine — l’endroit est bucolique. Mais l’assourdissant écho de la catastrophe résonne encore entre ces collines.
Mais ce funeste endroit ne marqua pas le terme de notre journée. L’objectif initial étant l’Esterel, nous avons fait l’ascension (motorisée) du sommet du massif : le Mont Vinaigre, 618 m. La légende dit qu’en ce lieu, pour qui a les cheveux poivre et sel, la moutarde monte facilement au nez.