Les Suisses & les drapeaux
— Schweiz Suisse Svizzera Svizra
En ces temps de Coupe du monde de foot, les drapeaux fleurissent partout : aux balcons, aux fenêtres, sur les voitures et les rétroviseurs, sur les vêtements et les têtes. Déjà, en temps normal, les Suisses adorent les drapeaux. Ils en mettent en cocarde aux frontons des édifices publics, en oriflamme au-dessus des rues commerçantes, en écusson sur les plaques d’immatriculation (en France aussi, depuis peu, mais les emblèmes des régions me font plutôt penser à des logos publicitaires), en étendard à l’entrée des villes. D’ailleurs, chose curieuse, on peut voir aux portes de Delémont, claquant côte à côte, le drapeau de la Confédération Helvétique et celui de l’Union Européenne… spectacle surprenant quand on connaît l’obstination des Suisses à refuser l’Europe (c’est donc pour redorer leur blason). Néanmoins l’honneur est sauf : le drapeau frappé des douze étoiles s’est mis au standard suisse : il est devenu carré (mais j’y reviendrai plus tard).
Ores doncques, chaque canton possède sa bannière, chaque village arbore son pavillon — parfois mignon, comme Courfaivre et son chat tranquille, parfois cocasse, comme Porrentruy et son sanglier bondissant. Et avoir dans son jardin un drapeau flottant au sommet d’un mât n’est de loin pas exceptionnel : alors qu’ailleurs on passerait, au mieux pour un patriote exalté, au pire pour un nostalgique de Vichy, ici cela semble tout naturel et nullement suspect de sympathies nationalistes (ou si peu). C’est juste la manière dont les Suisses montrent leur fierté en leur Confédération, pays à la longue tradition d’hospitalité. Car en effet, à la faveur du foot, les couleurs du monde entier éclosent partout et trahissent les origines géographiques fort diverses de ses habitants. Sans surprise, on retrouve énormément de drapeaux espagnols et portugais, au coude à coude avec les italiens. Le Brésil et l’Argentine ont naturellement leurs inconditionnels, mais l’Angleterre, les Pays-Bas, ou — plus exotique dans les cantons romands — l’Allemagne comptent également quelques supporters. Mais je n’ai pu dénombrer qu’un seul drapeau pour la France, autant que pour la Corée du Nord !
Pour la petite anecdote, sachez que le 10 septembre 2002, lors de la très cérémoniale adhésion de la Suisse aux Nations Unies, on a frôlé l’incident diplomatique. Le drapeau rouge à croix blanche est CARRÉ, et non rectangulaire — j’entends : un “vrai” rectangle, pas un rectangle dont tous les côtés sont égaux, autrement dit : un carré. Or le règlement de l’ONU impose aux États membres de hisser des drapeaux rectangulaires, de 4 pieds de haut pour 6 pieds de long. Le problème s’était déjà posé avec le Népal et son bizarre drapeau en zig-zag, et avait été (probablement) résolu en son temps — en 1955, donc. Le Vatican, seul autre pays du monde à avoir un drapeau carré — et dont la Garde est suisse, tiens tiens, coïncidence ? — n’est pas membre de l’ONU, donc le problème ne se pose pas. La Suisse a par conséquent le seul et unique drapeau au format carré des Nations Unies. Or, comment ne pas léser le nouvel adhérent ? Un compromis a été trouvé de justesse avec les hautes instances onusiennes : un drapeau peut avoir un format non-rectangulaire, à condition que sa surface ne dépasse pas celle des autres. Petit calcul : la surface d’un drapeau rectangulaire étant de 24 pieds carrés, le côté du drapeau suisse doit donc avoir une longueur de √24, soit 4,9 pieds. Mais le témoignage d’un observateur des Nations Unies — un vrai observateur, qui s’est rendu sur place pour scruter la rangée de mâts — rapporte que le drapeau suisse, comme tous les autres, semble parfaitement rectangulaire. Même celui du Népal a des pointes curieusement longues… Amie lectrice, ami lecteur, si jamais tu vas te balader à New York, peux-tu aller vérifier ça pour moi ?
Et n’oublions pas que la Suisse est le seul pays du monde où, tous les jours, sur tous les palais de la capitale, les drapeaux sont toujours en Berne.
~ la photo du jour ~ |