— Twee Rivieren, Kgalagadi Transfrontier Park, 31,3°C
… Mais le jour, sous l’impitoyable soleil du Kalahari, les gros chats reprennent leur couleur fauve. C’est ainsi que nous avons pu contempler, en cette fin d’après-midi, un lion et une lionne paresseusement allongés dans l’ombre d’un arbre. Ils avaient l’air de bien s’apprécier ces deux-là ; d’ailleurs, au bout d’un moment le mâle s’est levé pour présenter ses hommages à Madame, qui n’a pas refusé. Par contre, quand il a voulu remettre le couvert, il s’est pris un coup de patte courroucé, et roi des animaux ou pas, il est vite retourné à sa place, non mais !
Nous sommes donc arrivés hier soir dans le Kalahari, après une longue et morne route dans ce petit recoin d’Afrique du Sud coincé entre Namibie et Botswana. En fait, la route de 255 km entre Upington et Twee Rivieren n’est pas si morne que ça, puisqu’on y croise des grosses cylindrées allemandes autorisées à rouler à 250 km/h ! Si seulement on avait pu en faire autant… Upington n’a guère d’autre intérêt que d’être le dernier lieu de civilisation de ce bout du monde sud-africain, et après un déjeuner dans l’ancienne mission au bord du fleuve Orange (qui n’est ni de cette couleur, ni sponsorisé par une compagnie de télécoms, mais nommé en l’honneur du Duc), nous nous sommes élancés dans ces vastes ondulations écarlates, semblables à une mer silicifiée, et pourtant surnommée le “Kalahari vert".
Quelques heures plus tard, après avoir quitté la chaussée d’asphalte pour la piste de sable, longeant la frontière du Botswana, nous sommes arrivés à Twee Rivieren, porte d’entrée du Kgalagadi Transfrontier Park. Les deux rivières en question ne sont que des lits asséchés : “Kalahari” est une déformation, dans le langage Kgalagadi, d’un mot signifiant “pays de la grande soif". Première pierre des “Peace Parks” initiés par Nelson Mandela, le parc est transfrontières : il s’étend sur les deux pays, Afrique du Sud et Botswana, et les humains comme les animaux peuvent y circuler librement, sans barrières et sans formalités.
À peine arrivés au campement, nous en sommes repartis à bord d’un night drive, un safari au crépuscule. Comme il y a bien moins de hautes herbes (et de touristes) que dans le Kruger National Park, il est facile de voir bon nombre de petites ou grandes créatures s’activer à la nuit tombée : gecko aboyeur, mille-pattes géant, mangouste jaune, lièvre, springhare, chacal à dos noir, renard du Cap… sans oublier les incontournables gnous et antilopes, la gracile springbok et l’élégant gemsbok. Et sur le chemin du retour, je capture dans le faisceau de la lampe deux reflets oranges : un lion ! Sur le point de se coucher d’ailleurs, car il a bientôt disparu dans les herbes.
Aujourd’hui, notre safari a consisté à faire un aller-retour sur la piste de Mata-Mata (où la piscine rafraîchissante fut néanmoins très chaude), à la frontière de la Namibie : 240 petits kilomètres qui nous ont quand même pris huit heures de route ! Cette région du Kalahari n’est pas vraiment désertique : la végétation doit trouver son chemin dans le sol rouge et sec, mais tout le paysage est une superbe savane parsemée d’arbres. Le spectacle prend toute sa beauté quand on découvre, au détour d’un fourré, un guépard allongé dans la fraîcheur de l’ombre, guettant de loin les proies de passage, mais renonçant vite à une course à plus de 100 km/h sur une terre chauffée à 40°C. Le Kalahari ne peut certes pas se vanter d’abriter les “Big 5″, mais avec un quatrième lion admiré ce soir, il compense largement par sa solitude, sa sérénité et son nombre de gros chats !