— Calacuccia, le Niolo, température 12°C, brrrr !
Après l’effort, le réconfort. Nous nous sommes autorisés ce soir un dîner 100% corse dans un petit resto de Calacuccia : terrine de figatelli, sauté de veau au miel, sanglier du chasseur, flan à la châtaigne, vin du cru, et même une coppa pour nos prochains pique-niques. C’était mérité, car ce matin, nous sommes partis à l’assaut du Monte Cinto, 2.607 m, sommet de la Corse.
Mais les dieux de la marche n’étaient pas avec nous.
Première surprise : le début de la randonnée est bien plus bas que celui annoncé par les guides : une piste défoncée empêche quiconque — hormis les sportifs en 4x4 (attention : oxymore
) — de s’épargner 1h30 et 500 m de dénivelé préliminaires. Pas de problème, nous prenons notre courage à deux jambes et commençons la marche. Mais il est déjà midi passé — oui, comme prévu, nous ne nous sommes pas levés aussi tôt que prévu — quand nous arrivons au Refuge de l’Erco, véritable point de départ de la grimpée vers le sommet. Grimpée qui nécessite au bas mot 3 heures aller, nous disent deux vieux mais verts bonhommes qui venaient d’en redescendre — je n’ose pas imaginer à quelle heure ils se sont levés ces grands-pères, et surtout je n’ose pas m’imaginer faire la course avec eux : bon pied bon œil les ancêtres !
Du coup, il est presque trop tard (selon Carine) pour tenter l’ascension. Nous décidons alors de nous rabattre vers un objectif censé être plus atteignable : le Lac Cinto, relique d’un lointain glacier niché au pied du mont. Le maquis d’altitude exhale un parfum discret et délicieux, mais se venge de notre intrusion en dépêchant ses armées de genévriers nous griffer les jambes. Dans un paysage de pics dentelés qui n’a rien à envier à nos Alpes, les vaches et leurs veaux, jolis comme des peluches, nous regardent nonchalamment passer en broutant sans entrave ni barrière aucune, tandis que nous suivons les cairns qui ponctuent le très incertain sentier. Sentier qui finit par s’estomper dans un immense éboulis. Deuxième surprise. Allez maintenant débusquer des petits tas de pierres dans un énorme tas de pierres ! Tant bien que mal, nous persistons : les cairns nous mènent droit… sur une vertigineuse barre rocheuse.
Enfer & damnation ! nous voulions faire de la marche, pas de l’escalade. Les pierriers étaient déjà bien délicats à franchir, alors ne pensons même pas aux murs. Nous ne sommes pas seuls dans cette mésaventure : un autre couple de randonneurs doit, comme nous, renoncer à apercevoir le lac glaciaire. Revenant en arrière et en éclaireur un peu sur le côté, je subodore que la vraie piste est par là, signalée elle aussi par des cairns : c’est bien simple, il y a des cairns partout dans cette maudite montagne ! Bref, plus le temps de chercher la voie, il faut — à mon grand dam — faire demi-tour avant la nuit et le froid, car même en Corse, au-dessus de 2.000 m il gèle à pierre fendre.
Troisième & dernière avanie de la journée : en traversant un de ces belliqueux buissons du maquis, le chapeau que Carine avait accroché à la ceinture décide d’y rester. Un chapeau tout neuf, porté à peine trois fois, snifff…
(je m’en veux, c’était moi qui lui avait suggéré de l’attacher là…) Après 7 h de marche et 1.000 m de dénivelé, sans avoir atteint aucun de nos objectifs, nous avons les jambes en compote et zébrées de cuisants souvenirs — et moi en plus, les épaules ruinées pour avoir voulu porter, âne bâté que je suis, un sac trop chargé. À avoir usé notre santé sur ce fallacieux sentier, maintenant je comprends pleinement le sens de ce proverbe corse :
“buciardu com’è a scopa”,
menteur comme la bruyère, qui fleurit mais ne donne pas de fruit.