Le Karoo au fil de la Route 62
— Oudtshoorn, capitale mondiale de l’autruche, Petit Karoo
Une fois n’est pas coutume, c’est dans un backpackers que nous dormons ce soir. Finalement, c’est presque plus économique de dormir dans une vraie maison que sous tente : les campings ici n’ont - mis à part des douches et des toilettes - aucun aménagement pour préparer sa popotte. Ni cuisine, ni bouilloire pour de l’eau chaude toute bête, ni même de simples tables & chaises. Il nous faut donc le soir venu aller au restaurant, et le matin aller au café, ce qui revient vite assez cher. Les backpackers, des maisons reconverties en hôtel bon marché, sont eux équipés d’une cuisine : le prix de la chambre est alors largement compensé par celui du dîner et du ptidèj’ en moins.
Hier soir par contre, c’est dans un camping que nous avons passé la nuit, près de Calitzdorp, capitale sud-africaine du port, l’appellation locale du porto. Nous nous sommes installés sur le terrain d’un bush pub, un pub de brousse installé en pleine campagne entre vignes, autruches, springboks (les antilopes, pas l’équipe de rugby) et vulgaires poules. Mal nous en a pris d’ailleurs, car au petit matin ce n’est pas un, pas deux, pas trois, mais quatre coqs intempestifs qui se sont mis à chanter pour saluer l’aurore ! Heureusement que je n’avais pas un fusil sous la main, car il y aurait eu du coq au vin au menu de ce soir ! Mais le point d’orgue de cette symphonie animalière s’est produit quand nous avons levé le camp : alors que je roule la tente, un scorpion en sort à quelques centimètres de moi ! Ah, l’Afrique recèle bien des émotions fortes !
La soirée dans ce bush pub fut très couleur locale : un Cabernet Sauvignon venu des chais voisins, dégusté dans une ambiance 100% Afrikaner blanc, avec en musique de fond des groupes locaux chantant en afrikaans. Il y a juste quinze ans que l’apartheid a été aboli, mais le patron du pub semblait encore en éprouver une certaine nostalgie. Carine me faisait part de ses impressions sur le pays : l’arrogance affichée de certains Blancs se manifeste dans des maisons d’une taille démesurée, luxe choquant en comparaison avec les townships noirs qui s’étendent en bordure des villes. Ces bidonvilles un peu améliorés (il y a parfois l’eau et l’électricité), qu’on appelle pudiquement “habitations informelles", comptent des petites cabanes qui n’ont pas la taille du garage des demeures sus-citées. D’ailleurs, il en faut un grand garage pour ranger le gros 4x4 rutilant de chrome, et quand sur la route celui-ci apparaît dans le rétroviseur collé au pare-chocs, il faut humblement lui laisser place et rouler sur le bas-côté afin de ne pas réduire sa moyenne d’excès de vitesse. La nation arc-en-ciel mettra du temps avant de devenir le paradigme universel que prophétise Monseigneur Desmond Tutu.
Ces deux derniers jours nous ont vu traverser le Little Karoo ("le petit désert"), une étroite bande de terre semi-aride - où la vigne pousse pourtant bien - coincée entre deux spectaculaires chaînes de montagnes. De Montagu à Oudtshoorn (à vos souhaits !) en suivant la très scénique Route 62, nous avons pris les sentiers buissonniers par des gorges taillées dans des calcaires tourmentés : Tradouw Pass, Seweweekspoort, Swartberg Pass et Meiringspoort, cols qui enjambent les Swartberg Mountains et ouvrent le passage du Petit au Grand Karoo. “Il y a du mouvement dans ces roches", a lâché ma compagne en contemplant les fantastiques intrications dessinées sur les parois écarlates du défilé. Nous ne nous sommes pas contentés d’admirer l’extérieur de la montagne : nous sommes aussi allés voir dedans. Les Cango Caves constituent un très long réseau de galeries karstiques, dont nous n’avons aperçus qu’une infime partie superbement décorée de stalactites, stalagmites, piliers et draperies. Et ce soir, ce n’est plus vers la terre mais vers le ciel que nos yeux se sont tournés : une comète fait resplendir sa crinière entre les étoiles de la Croix du Sud.
~ quelques photos du jour (parmi les 9) ~ | ||||
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