Avanti !
— à bord du M/N Corsica Victoria, entre Savona & Bastia, Mer Ligure
Installés à la proue du navire, je guette sur l’horizon encore lointain l’apparition de l’Île de Beauté. En partant en septembre, nous pensions être un peu hors saison, néanmoins le navire est plein comme un œuf : difficile de trouver une place confortable pour tenter de finir notre nuit. (D’ailleurs, nous voilà chassés de notre banquette temporaire, située il est vrai derrière une pancarte “Accès réservé à l’équipage". Remettons-nous en quête d’un lieu de repos.)
Car qu’on se le dise, en vacances il faut se lever tôt : 6h pour ce matin, le temps de ranger la tente et se présenter à l’embarquement du ferry. Hier aussi, nous étions censés être debout aux aurores, histoire d’attaquer sereinement la route avec la journée devant nous. Bon, finalement, nous n’avons quitté le Jura que sur les coups de midi… La nuit n’a pas été trop longue pour autant, car la veille nous sommes allés à la dernière séance du cinéma en plein air de Delémont, voir un film suisse-allemand nommé Les Mamies Font Pas Dans La Dentelle (Die Herbstzeitlosen). Ce petit film bien sympathique remporte un grand succès – mérité – outre-Léman : c’est l’histoire d’une mamie fraîchement veuve et de ses copines qui décident d’ouvrir une boutique de lingerie fine dans leur petit village du fin fond de l’Emmental. Ce qui ne va pas sans provoquer quelques remous dans la paisible et très traditionnelle bourgade. On ne peut s’empêcher d’éprouver de l’affection pour ces dames qui doivent lutter – du fond de leur statut de femmes, de mères, d’épouses, de vieilles – contre tous les préjugés bien ancrés dans l’esprit helvète. Et il est plaisant de constater que le méchant de l’histoire est un petit politicard, chef de section d’un parti copie conforme de l’UDC, la trompeusement nommée Union Démocratique du Centre, mais en fait bien à la droite de la droite. Ce parti d’inspiration poujuliste (c’est-à-dire poujadiste + populiste) prône ouvertement une Suisse sans immigrés (car, c’est bien connu, ils sont la cause de tous nos maux) et sans Europe (car, c’est bien connu, elle est la cause de tous leurs maux) . Le malheur, c’est que ce parti est le premier de Suisse… du moins, nous verrons aux élections, pardon, votations fédérales du 21 octobre.
Je digresse, je digresse. Après une soirée au ciné et une nuit de lutte contre un graveur récalcitrant (il a gagné), nous avons traversé la Suisse du Nord au Sud, franchi les Alpes par en-dessous, pénétré en Italie, contourné Milan, sinué dans les gorges de Ligurie, frôlé Gênes, son porto et ses bouchons, et enfin descendu la côte méditerranéenne jusqu’à Savona, où fort opportunément je me suis souvenu avoir oublié à la maison savon & boîte à savon. L’objectif suivant était un carré de pelouse pour planter la tente : nous avons cherché un camping à l’aveuglette, et nous en avons trouvé un, à l’aveuglette aussi. Des bungalows et des caravanes serrés les uns contre les autres, coincés entre le chemin de fer et la quatre-voies, qu’il suffit de traverser à ses risques et périls pour atteindre une plage encombrée de parasols léchés par d’indolentes vagues. Le fait que des gens choisissent de passer leurs vacances ici demeure à mes yeux un insondable mystère.
Pas démotivés par l’Italie pour autant, nous sommes allés manger - évidemment - une pizza sur la plage, au bord d’une mer scintillante de fragments de lune rousse. Un cadre bien romantique pour notre première soirée de vacances, dans les volutes mélodieuses de la langue transalpine… je me suis justement fait la réflexion que j’aurai dû accorder plus d’importance aux sous-titres en italien du film de la veille : ne pas connaître un traître mot de la langue du pays, c’est rudement gênant, ne serait-ce que pour comprendre d’où viennent ces 4 € en plus sur l’addition.
Alors que j’écris ces lignes, une ombre bleutée émerge de l’horizon. La Corse surgit des flots.
~ les photos du jour ~ | |
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