Cap Horn : expédition échouée
— M/N Mare Australis, 54°57,352′ S, 69°08,770′ W
[Ces coordonnées sont absolument véridiques : je suis allé me les procurer à la passerelle de pilotage du navire.]
L’opération D-Day au Cap H est donc tombée a l’eau, si j’ose dire. On nous avait prévenu : la météo au Cap Horn est tout sauf tranquille, et rien n’y est jamais assuré, surtout pas le débarquement de croisiéristes en goguette. Mais pourtant au petit matin, le temps était assez clément pour tenter la manœuvre. En gros, elle se compose de quatre étapes périlleuses : embarquement des passagers sur le Zodiac, débarquement sur la Isla Cabo de Hornos, réembarquement depuis l’île et débarquement sur le navire. Une routine pour nous, jeunes & fringants aventuriers, mais il n’en va pas de même pour la très grande majorité des passagers. “Une croisière très appreciée de la clientèle senior", avait-on lu dans le guide - nous étions prévenus.
Au petit matin donc, à l’abri derrière l’ultime île de l’archipel fuéguien, nous avons vu les Zodiac s’éloigner un à un. Notre grande malchance fut d’être francophones : les anglophones et les hispanophones étaient devant nous, la queue du peloton. Car au beau milieu de cette délicate opération de transbordement, les autorités décidèrent que la mer était trop agitée pour continuer, et annulèrent le reste des transferts sur le Cap Horn. Leur hantise est très certainement de voir une mamie glisser dans l’eau gelée des 50èmes hurlants : ils ne veulent surtout pas courir ce risque. Toujours est-il que nous vîmes alors les Zodiac faire demi-tour avec encore toute leur cargaison de gilets orange fluo. Aaaaaargh ! si proches du Cap Horn, et ne pas pouvoir y poser le pied ! J’ai alors ressenti - et je ressens toujours un peu ce soir - une grosse frustration. Ma foi, tant pis, c’est la loterie de la mer, mais moi qui voulait laisser ma marque sur ce caillou perdu a un coin du globe… À l’instar des marins hollandais qui nommèrent ce cap d’après leur port d’attache, Hoorne, je voulais rebaptiser ce lieu d’après mon département d’attache : le Cap Orne ! Malgré tout, nous avons quand même eu droit à un lot de consolation : une virée en Zodiac auprès d’une colonie de lions de mer, vautrés commes des pachas sur le rocher le plus austral du monde habité. Le spectacle de ces curieux indolents valait certainement celui du phare, des quelques monuments & autres stèles commémoratives parsemés sur l’herbe rase de ce rocher du bout du monde.
Plus tard dans la journée, nous avons pu voir quatre dauphins jouer et faire la course avec le navire, puis nous avons debarqué - tous sans exception cette fois-ci - dans la Bahia Wulaia, là où la main de l’homme n’a (presque) jamais posé le pied. Seuls ont osé vivre ici les militaires, quelques pêcheurs, une famille d’éleveurs… et avant tout ce petit monde les Yumaná, les aborigènes d’ici, aujourd’hui à ranger parmi les innombrables victimes de notre civilisation. Nous avons choisi la promenade “sportive” dans les hauteurs de l’île, marche toutefois bien tranquille pour nos jeunes jambes. Elle s’est conclue dans un émouvant silence méditatif en communion avec la nature immaculée… que seul un chalutier de pêche au crabe royal venait troubler de son moteur !
La vie à bord est minutée comme du papier à musique, et chaque activité est planifiée comme au Club Med. L’inévitable soirée karaoke qui animait le bar où j’écris s’est terminée à minuit pile, et maintenant tout le monde est certainement au lit. Et je viens de me rendre compte que la table sur laquelle je couche ces lignes arbore pour décoration une carte maritime, avec portée dessus l’Allée des Glaciers dans laquelle nous passons ce soir : je lis d’Est en Ouest le Ventisquero Holanda, le Ventisquero Italia, le Ventisquero Francia, le Ventisquero Alemania, le Ventisquero España… et le plus grand, le Ventisquero Romanche !!!
~ quelques photos du jour (parmi les 14) ~ | ||||
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