— Harcourt Park, Upper Hutt, près de Wellington
Si la Nouvelle-Zélande est toute verte, ce n’est pas sans raison : il y pleut beaucoup, et les vêtements imperméables sont de rigueur. Ce matin, après une nuit encore très humide, nous avons dû remballer nos affaires sous la pluie - ce qui n’est jamais très agréable : tout est trempé, et pire, tout reste trempé dans cette atmosphère saturée d’humidité. Pour continuer dans l’élément liquide, nous sommes allés voir ce qui fait la réputation internationale de Turangi : la truite arc-en-ciel, que des pêcheurs du monder entier viennent taquiner dans la rivière Tongariro. Effectivement c’est une belle bête qui doit faire la fierté de celui qui l’attrape… et nous deux en avons attrapé plein ce matin avec nos petits bouts de pain ! Très amusant de voir le pugilat natatoire que ça entraîne dans les bancs !
Toujours sous un ciel ruisselant, nous sommes retournés à Whakapapa sur les pentes du volcan Ruapehu, pour tenter d’apercevoir l’impressionnant mur de lave nommé Meads Wall, que les amateurs reconnaîtront comme Emyn Muil en la Terre du Milieu. Ce fut en vain, et la seule chose que nous pûmes bien distinguer après notre mini-expédition dans la neige et la tourmente, ce fut une bonne tasse de café fumant. À vrai dire, nous ne serions pas revenus ici sans les indications et les commentaires enthousiastes d’Alfy, un vieil Anglais exilé aux antipodes, guide de montagne en semi-retraite. Nous l’avons rencontré en prenant notre ptidéj dans la cuisine du camping, et sa conversation - agrémentée de bon nombres d’anecdotes sur ses aventures avec une hôtesse de l’air de Swissair - nous a convaincus de retenter notre chance. Mais justement, la météo d’aujourd’hui était encore pire que celle d’hier, déjà pas fameuse : le sentier que nous avons arpenté la veillle avait même été fermé. Sale temps sur Mordor…
La route s’est poursuivie vers le Sud, avec un passage par Ohakune, capitale kiwi de la carotte. La vue de la racine orange géante qui trône au milieu de la ville a réjoui le petit lapin qui m’accompagne ! Le pique-nique fut rapidement avalé (sous la pluie) près de Ohotu, le heartland de NZ, une superbe région avec un relief fascinant : les collines sont autant de petits pains de sucre, élancés et pointus, sur lesquels paissent d’innombrables moutons. Un vrai décor de montagnes russes, entaillées par la scenic road et la fantastique gorge de la rivière Rangitikei. Cette gorge, deux falaises parfaitement verticales qui plongent de 80 m, est aussi le lieu où la Communauté de l’Anneau navigue dans les barques elfiques sur les flots tranquilles du fleuve Anduin. Là, à la vue de cette splendide gorge et du pont qui l’enjambe, l’attraction du vide a été la plus forte : je suis allé m’équiper pour un bungy jump, un saut à l’élastique ! Carine bien sûr est sagement restée sur la plateforme d’observation, me regardant être harnaché comme un destrier par les (jeunes) professionnels. Une fois les poches vidées, le harnais serré, la chevillère solidement attachée et l’élastique fixé à celle-ci, je me suis avancé à petits pas sur la planche. Sous moi, 80 m de vide, 2 m d’eau glacée et un plancher de galets bien durs. Et le poids de l’élastique qui me tire vers l’abîme. Gloups. Qu’ai-je fait ? Je mets les bras en croix, j’entends “three-two-one-bungy !” et sans plus y réfléchir, je saute.
WAAAAAAAAAOOOOOOUUUUUUUUUHHHHHHHHH !!!
Quelle sensation ! quelles sensations !!! Voir ce mur d’eau approcher à une vitesse folle, puis ralentir, puis reculer, pour revenir juste après à la charge, ça vous retourne l’estomac - ou les Thomas si on veut. Après un certain nombre de rebonds au-dessus de l’onde, j’ai terminé comme un saucisson pendu à mon fil, de l’adrénaline et du sang plein la tête. On m’a descendu jusqu’au bateau de réception, puis un treuil m’a ramené au niveau du pont. Voilà, c’était fini, j’étais encore vivant, au grand soulagement de ma compagne. Ce n’était qu’une poignée de secondes sans rien sous mes pieds, mais quand j’écris ces lignes, j’en frissonne encore !
Toutes ces audaces avec la gravité ne nous avaient pas mis en avance, surtout que nous avions appris le matin même que notre ferry à Wellington partait demain très tôt. Nous nous sommes donc dépêchés de rejoindre la région de la capitale néo-zélandaise, en passant d’ailleurs par un raccourci trompeur, une petite route étroite zigzagant au bord du précipice, une Camino de la Muerte kiwi. Et nous avons planté notre tente au crépuscule dans le Harcourt Park, alias les Jardins d’Isengard, domaine de Saroumane le magicien corrompu. C’est là que les Orcs ont abattu leurs arbres, d’ailleurs un morceau de tronc du film trône fièrement à l’entrée du camping. C’est également non loin de là que se cache la secrète Rivendell, dernier havre d’Elrond et des Elfes Sindarin. Mais une autre raison m’attirait aussi en ce lieu : nous dormons ce soir sur la faille géologique de Wellington. Elle passe à travers le parc, et au XIXème siècle un séisme l’a brutalement réhaussée de cinq mètres, créant ainsi un barrage qui a détourné le cours de la Hutt River. Expédition en haut des volcans tempétueux, saut dans des gorges, route sur le fil du gouffre, sommeil sur des failles… il faut croire qu’on aime vivre dangereusement !