— Methven, près de Christchurch
Après le Cap Horn, le deuxième coin du globe est nettement moins célèbre : son nom est Slope Point. Ce bout de lande perché sur une falaise battue par le Pacifique et balayée par un vent à défriser les moutons est le point le plus austral de l’Île du Sud de la Nouvelle-Zélande, ce “bottom of the world”, le derrière du monde comme disent les Kiwis eux-mêmes. L’expression semble peu flatteuse, mais ils ont néanmoins l’air d’en tirer une certaine fierté (car en effet c’est un joli derrière).
Mardi matin nous avons quitté Invercargill par la route côtière qui traverse les Catlins, la région littorale du Sud du Mainland. La légende maori veut que ces verts pâturages soient hantés par le maeroero, le yéti local. Pour notre part, nous n’y avons vu que de rares arbres qui doivent lutter sans répit contre le souffle de l’océan, des milliers de moutons, Slope Point, une forêt pétrifiée et un gouffre, le Jack’s Blowhole, où la mer - pourtant distante de 200 m - résonne avec fracas. Notre route s’est terminée à Dunedin, la grande ville du Sud. Elle doit son nom, non aux Dunedain de Tolkien, mais aux immigrants écossais qui se sont installés en masse dans la région : Dunedin est le nom celtique d’Edimbourg. La ville est animée et riche en bâtiments historiques de style édouardien (notamment la surprenante Railway Station), mais n’ayant pu trouver de pub proposant le célèbre haggis écossais, nous avons honoré la cuisine cambodgienne.
Le lendemain mercredi fut consacré à l’exploration de l’Otago Peninsula, toute proche de Dunedin. Elle fourmille de vie sauvage : albatros royaux, pingouins à tête jaune, phoques à fourrure. Mais ceux que nous avons pu approchés de près sont les lions de mer. De près, mais pas trop près : ces bestiaux ne craignent pas l’homme, et le font vite savoir. Après une bonne observation de leur impressionnante masse de graisse - et après une bonne dégustation de leur fauve puanteur - nous sommes retournés au parfum plus suave des dunes en fleur. Nous avons repris la route jusqu’à Twizel, aux portes du Mont Cook, où nous avons passé la nuit (sous tente, la température étant remontée et l’air raisonnablement sec).
Ce matin, notre chemin a longé le bleu irréel du lac Pukaki, un turquoise intense à faire pâlir le ciel. Cette couleur est due à la “farine de roche” grattée par les glaciers et apportée par l’eau de fonte. La conséquence majeure est que le lac est merveilleusement photogénique. Plus nous avancions dans la vallée du Mont Cook (3.754 m, le plus haut sommet de l’Australasie), plus le ciel s’assombrissait, et c’est sous un véritable déluge que nous avons atteint l’Hermitage, le célèbre hôtel au pied d’Aoraki, le Perceur de Nuages en maori. Une fois au sec dans le salon de l’hôtel — où trône une rutilante De Dion-Bouton, la première voiture à atteindre l’hôtel le 6 février 1906 — nous nous sommes installés devant les grandes fenêtres en sirotant un drôle de café au goût de cacahouète (certainement un truc pour plaire à la clientèle japonaise), mais malheureusement le Mont Cook est resté invisible, nimbé dans les nuées, tout comme la fabuleuse cité de Minas Tirith, qui se dressait autrefois non loin de là.
Le déjeuner fut savouré sur la berge du lac Tekapo, tout aussi bleu que son voisin, sous un ciel radieux et dans le souffle chaud du föhn - pas de doute, les Southern Alps font une barrière climatique très efficace. Nous sommes ensuite allés nous promener autour du Big Tree de la Peel Forest, un totara géant âgé de 1.000 ans. Enfin, notre voyage en Terre du Milieu kiwi n’aurait pas été complet sans un aperçu du Mont Sunday, alias Edoras, la capitale des fiers Rohirrim et du Roi Théoden. Ceux qui ont lu Samuel Butler reconnaîtront en la vallée de la Rangitata River Erewhon (l’anagramme anglais de “nulle part") et en effet, la piste poussiéreuse qui y mène serpente un long moment loin de tout avant d’arriver dans cette large vallée encadrée de grondantes montagnes, où la rivière s’étale en multiples rubans d’argent. Et si les nuages n’avaient pas joué les trouble-fêtes, j’aurai peut-être pu entrevoir le Gouffre de Helm, lieu de l’épique bataille entre les Hommes de Rohan et les Orcs de Saroumane.
Notre dernière nuit en NZ sera sous les étoiles de Methven, une tranquille bourgade qui s’anime l’hiver venu. Et j’ai profité de notre dernier dîner dans un pub kiwi pour enfin goûter la star du pays : l’agneau. Il était temps !