Une proche décision officielle va fixer à la Loire son berceau. Peut-être (et la chose serait certaine s’il ne fallait pas obéir à certains impératifs et penser à mille contingences) que le plus long fleuve de France serait débaptisé. C’est vrai en effet que le cours d’eau qui se jette à Saint-Nazaire c’est l’Aigue, noire et non la Loire. Quelle histoire !
Allons au Gerbier-de-Joncs. Mon vieil instituteur, homme charmant, m’a toujours dit la même chose. C’est là que se trouve le « berceau » du fleuve au bassin de 1.165 kilomètres.
Tant pis si les mânes de mon vieux maître en tremblent, tant pis pour nos meilleurs géographes mais aujourd’hui je dis, j’affirme que le plus long fleuve de France et le plus beau aussi n’est qu’un ruisselet d’une centaine de mètres, la Loire, mais oui, ce n’est qu’une résurgence. Les géologues demeurent divisés sur ce point et pourtant la preuve est faite (et dans un bref délai la plus haute juridiction le dira) il n’y a qu’une vraie source de la Loire. Elle dira aussi – si elle ose – que c’est l’Aigue Noire (et non la Loire) qui arrose dix départements de France et reçoit les apports de 54 affluents.
Mais retournons aux sources (de la Loire).
Dans les Boutières et partout ailleurs, de Sainte-Eulalie aux Sagnas ; de Borée à Lanarce, dix fois, vingt fois avec mon camarade Pierre Domenech nous avons posé la même question :
— Où donc la Loire prend-elle sa source ?
Nous avons vu tous ceux qui ont quelque chose à dire et un rôle à jouer. Autant de sonnailles, autant de ding et dong différents.
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Première rencontre dans la « burle » froide et premier interlocuteur (valable), M. Baptiste Bouchet, 85 ans. Bon pied, je le jure. Les foins sont coupés ; il use du rateau du crépuscule à l’aube pour faire la meule. Bon pied évidemment et bon œil si l’on sait que bon an, mal an, ce sont 20 ou 30 lièvres et une centaine de « cha-cha » (grives) qui font les frais d’une visée sûre et d’un épaulé inimitable.
— Et alors, grand-père, où donc la Loire prend sa source ?
Pas d’hésitation. La réponse est nette, sans appel.
« La Loire a ici source ; la voilà. Voici 80 ans, M. le curé, un savant était venu ici et le brave homme avait tôt fait de se prononcer.
« Et puis enfin, il y a la carte d’état-major, le plan cadastral qui situent chez moi, dans ma propriété, la seule source de la Loire. »
S’il fallait en faire le serment le solide vieillard n’hésiterait pas une seconde.
Déjà, au temps d’Olivier de Serres – un « grand » de l’Ardèche – chacun savait que c’était aux Sagnas, à quelques centaines de mètres du Gerbier-de-Jonc que naissait la Loire.
Et les fils Bouchet enchaînent : « Ici c’est la source, elle est dans nos prés ; venez la voir. »
J’ai vu, bien sûr, sans pour autant pouvoir me prononcer.
J’attends et peut-être emboîterais-je le pas au Conseil d’Etat qui dira dans un proche avenir où la Loire prend sa source, si du moins l’on consent à reconnaître comme un fleuve naissant ce filet d’eau qui, à 100 mètres de sa source a refait une profonde plongée pour disparaître dans la glaise des hauts plateaux cévenols.
Après la « vraie » je suis allé voir « l’authentique » source de la Loire ; celle-là étant la propriété des Moulin, jusqu’au pied du Gerbier-de-Jonc.
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« C’est ici l’origine du fleuve, m’a dit Maurice Moulin, en plongeant ses mains dans l’eau (glacée) de la Loire (la sienne). Pourquoi chercher des histoires ? » a ajouté le sympathique paysan.
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Bien sympathique le maire de Sainte-Eulalie, qui règne sur « toutes » les sources de la Loire.
Brutalement, je lui pose la question :
— Voulez-vous me dire où la Loire prend sa source ?
« Vous tombez bien. C’est justement la question orale qui m’a été posée, voici plusieurs décades, par les examinateurs du certificat d’études primaires.
« Pas de discussion possible. La fleuve prend sa source au Gerbier-de-Jonc. »
Je me risque à contredire : « Vous vous trompez, Monsieur Courtial, la Loire prend ailleurs sa naissance et bientôt la question va être tranchée et seuls les Bouchet, aux Sagnas, pourront dire que la source est à eux. »
La réponse tombe, brutale :
« Pourquoi vient-on nous embêter avec de telles questions, soulever ce lièvre ? Je comprends que, si la Loire roulait du vin ce soit prétexte à bagarres, mais ce n’est pas le cas. »
Et qu’en pense l’excellent Peyronnet, notre si dévoué correspondant pour le Haut-Vivarais ?
« Quelle importance ? Ici l’eau coule partout ; reste à savoir où est la Loire. Pas de quoi fouetter un chat…
Pour M. Martin, inspecteur des Eaux et Forêts (rencontré au hasard), s’il y a un fleuve qui prend sa source en Ardèche il ne peut que s’appeler L’Aigue Noire. La Loire n’est qu’un affluent.
Et des Pradoux à la Clairière des Moines, de la Maison des Princes aux hameaux de toutes les Boutières, à la question posée vient la même réponse :
« Que la Loire prenne sa source chez les Bouchet ou chez les Moulin, quelle importance ? »
Et personne ne voit d’intérêt à ce que la justice – à l’échelon le plus élevé – à savoir le Conseil d’Etat, se prononce. « D’abord, m’a dit une vieille dame, ce Conseil d’Etat, que vous dites, il n’est pas le Bon Dieu. »
Vingt géologues ont « vu » le problème : jamais ils n’ont été d’accord. Sur quelles bases alors reposera la décision à venir du Conseil d’Etat ?
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Qui ne connaît en Ardèche le sympathique Victor Plantevin, ancien député, maire de Burzet et conseiller général du canton depuis 31 ans ?
Voici une dizaine d’années que je n’avais eu le plaisir de choquer le verre avec celui dont j’avais écrit qu’il était le plus bouillonnant élu et l’enfant terrible du Conseil général de l’Ardèche.
Depuis 1945 bien du sel a tombé sur ses cheveux ; durant douze années Plantevin a été député de l’Ardèche. Il est resté « bouillonnant » et « enfant terrible ».
« Il y a la tradition, on ne va pas mettre au pilon Atlas et géographies, il y a la pratique. Pourquoi en changer ? »
La source de la Loire c’est au Gerbier-de-Jonc ; il sera difficile, sinon impossible de dire autre chose. Et puis, encore plus « bouillonnant » et prompt à tous les… épanchements, très soupe au lait, notre aimable interlocuteur coupe net :
« Ils n’ont pas autre chose à faire en « haut-lieu » qu’à s’occuper de telles vétilles. »
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