Chili con car (le Chili avec un car)
— au milieu de nulle part entre El Calafate, Argentine, et Puerto Natales, Chili
Nous traversons la steppe sans fin de Patagonie sous un ciel d’où le vent a chassé tous les nuages. Des troupeaux de moutons sont disséminés ça et là, côtoyés par des nandus, des sortes d’autruches locales qui évoquent les danseuses du Moulin Rouge lorsqu’à notre approche elles courrent pour s’éloigner de la piste : une débauche de plumes ondoyantes sur deux jambes maigrelettes. Et quand on croise un point d’eau, il n’est pas rare qu’il soit occupé par des flamants roses, surprenantes taches de couleur sur fond jaune passé. En arrière-plan à l’Ouest se dresse un rempart de montagnes balnchies de neige. Derrière : le Chili, le Parc Torres del Paine et Puerto Natales, notre destination.
Nous ne serons pas restés très longtemps au Parque Nacional Los Glaciares, juste le temps de rester bouche bée devant la fabuleuse puissance du glacier Perito Moreno : 5 km de large, 50 m de haut, cette colossale masse de neige compactée avance de 1,5 m par jour dans un lac, et parfois parvient même à le couper en deux, devenant ainsi barrage naturel. L’eau s’accumule en amont, s’infiltre dans les interstices, met la glace sous pression et finit par faire exploser l’obstacle dans unce cataclysmique ruptura. Ce phénomène reste assez rare ; quand il se produit, on en parle jusqu’en Europe, et certainement plus loin encore. Par contre tous les jours le glacier se désagrège lentement dans le lac : des blocs se détachent et tombent de la falaise dans un bruit à vous figer le sang dans les veines, sang déjà bien cristallisé par le vent polaire que le glacier semble exhaler. Ce “tonnerre", selon le fort juste mot de Carine, arrive avec un peu de retard sur l’image, mais est bien plus impressionnant : un grondement sourd fait trembler l’air alors qu’on ne voit qu’un “petit” glaçon tomber dans le lac et rejoindre les autres icebergs.
[À ce moment-là de la narration nous franchissons la frontière Argentine-Chili : que de temps perdu en paperasseries douanières…]
Pour tenter de sentir au plus près la puissance de la rivière de glace, nous nous sommes embarqués sur un navire qui longe le flanc nord du Perito Moreno. Il le longe, certes, mais de très loin, à une distance plus que raisonnable - aucun risque de se prendre un pan sur la tête - et la promenade sur le lac est plutôt décevante (et bien sûr, comme tout attrape-touriste, excessivement chère). Le panorama depuis les balcons est tout autant satisfaisant : le glacier apparaît sur deux de ses trois côtés, et nous avons pu assister à quelques chutes spectaculaires. Ma compagne, grande amatrice de glaces et de fondues - et donc de glace fondue - a dû beaucoup apprécier !